
A toi qui juge le monde ordinaire, les pauvres, les « sans culture », les simples…
Je pensais comme vous autrefois… (Tenez-vous bien, je suis partie pour un petit-moyen-long discours). Oui, je pensais comme vous. J’étais tellement au-dessus de toute cette pauvreté intellectuelle-là!
Moi, j’aimais les grands écrivains, les vraies pièces de théâtre, les Grands Ballets Canadiens et plus encore. Je lisais et voyais des choses « culturelles » édifiantes. Même ma compréhension de la condition humaine était plus élevée que la leur.
Le monde qui regardait le « canal 10 », qui riait aux jokes de Gilles Latulippe et qui jouait au bingo, c’était méprisable. C’était des moins que rien, des « bs », des ignorants et je leur crachais dessus mentalement. Cela monsieur, ça s’appelle de l’orgueil…
Jusqu’au jour où tout à coup, j’ai compris: Si « ces gens-là » avaient besoin de ça, de jokes au premier degré, de lire « Allo Police » ou le Journal de Montréal, si ma voisine aimait lire les conneries des romans Harlequin, c’était pas mes affaires!

Ces bs-là comme vous dites, ce sont des gens qui n’ont pas le temps, ni le goût, ni l’énergie de se torturer les méninges parce qu’ils sont trop occupés à travailler à des jobs que ni vous ni moi ne tolérerions une semaine de temps, encore moins le salaire de misère. Que ce soit serveuse dans un resto à avoir mal au dos et aux pieds, ou travailleur d’entrepôt qui transporte des poids qui sont trop lourds pour lui, par des chaleurs écrasantes l’été et un froid hivernal, insupportable en janvier. Ces gens-là monsieur, sont tout aussi intelligents, humains et grands que vous et moi.
C’est juste qu’ils ont besoin de se distraire et si cela leur prend des jokes plates, vulgaires, que leur recherche intellectuelle s’arrête à la première signification des mots, je m’en fous maintenant. Parce qu’au fond, quand j’y pense, ils ont autant que moi le droit d’avoir du plaisir dans la vie.
Voyez-vous, parfois, je me dis que je préfère ces « bs »-là à la gang de snobs du Plateau ou d’Outremont. Parce que ces gens-là, quand ils nous parlent, on sent que c’est vrai, que ça vient du plus profond d’eux-mêmes. Ils sont directs. Ils nous envoient c.h.i.e.r. et on sait que c’est vrai. Ils nous disent qu’ils nous aiment et ils nous sont fidèles. Ils n’enrobent pas leur mépris ou leur jugement de belles grandes phrases perverses.
Au fond, notre peuple n’est pas issu de la bourgeoisie et encore moins de la noblesse. Ils ont défriché la terre, ils l’ont nourrie, travaillée pour qu’elle leur donne de quoi nourrir leur enfants. Ils ont appris à la dure avec des mots et des idées simples. Ceux que vous jugez monsieur, sont les descendants de ces fermiers, là, ces « colons »-là. Et je les préfère à une supposée élite qui passe son temps à tenter de leur jouer dans la tête.

Sur ce, bonne journée.
P.S.: Un jour que je travaillais à la Bibliothèque de Saint-Henri dans les années 70 et que ce quartier de Montréal ne s’était pas encore « gentrifié », ma patronne ne comprenait pas que je place à l’entrée des romans à l’eau de rose, des livres de recettes ou de bricolage et non pas de la grande poésie ou des écrivains de l’Académie française.
Ce jour-là, je lui ai dit: « Madame, les ouvriers n’ont que faire des grands auteurs. C’est un peu comme si vous placiez un homme qui a faim devant la Joconde ou le David de Michel-Ange… Quand on a faim, on veut manger. Point. Tant qu’il aura faim, il ne pensera pas à nourrir son esprit. »
Et je rajouterais que nos élites savaient comment maintenir le peuple dans l’ignorance autrefois. Bien sûr, ils ont raffiné leur méthode mais, ces ouvriers-là ont encore plus besoin qu’on les aime et non qu’on les juge.
Ah et je vous recommande d’écouter: « Ces gens-là » de Jacques Brel. Édifiant.