Je viens d’entendre Gaétan Dostie, poète et ancien prisonnier politique de la Crise d’Octobre et d’Éric Girard, historien interrogés sur le FLQ et la Loi des mesures de guerre durant l’émission « Tout le monde en parle ».
Tout de suite après l’entrevue, je me suis mise à pleurer. Cinquante ans plus tard, les émotions, le stress, l’inquiétude, le sentiment d’étouffer me sont revenus en rafale.
En 1970, je commençais à peine à travailler à la Ville de Montréal. Tout près de la station de métro Rosemont. A ce moment-là, je prenais de l’expérience au Service de la Circulation. Juste en face, il y avait un petit « snack bar » où je traversais m’acheter du café ou un sandwich le midi.

Et tous les jours, durant tout le temps de la Crise d’Octobre, je freakais littéralement. Pas à cause du FLQ non, à cause de la police, de l’armée qui entrait de force dans les appartements, les maisons, qui fouillait partout, qui virait tout à l’envers, recherchant des preuves d’insurrection… Arrêtant n’importe qui. L’année suivante, ma belle-mère a eu la terreur de sa vie en voyant arriver son fils Marcel, encadré de deux « taupins » de la police… Ensuite, elle nous suppliait de retirer le drapeau des Patriotes et le poster de Michel Chartrand… Nous avions entendu dire que la police arrêtait les gens qui avaient des livres qui finissaient en « isme » même ceux sur le cubisme, l’impressionnisme!
Nous avions la peur au ventre car la démonstration de force militaire était extrême. Sur la rue, dans les magasins, les restos, j’entendais les gens chuchoter, murmurer… nous étions sidérés tous. J’achetais tous les journaux, et en ce temps-là, il y en avait beaucoup. J’écoutais toutes les émissions d’information, à la télé, à la radio… et c’est ainsi qu’un jour, j’ai entendu le Maire de Montréal affirmer qu’il y avait 3,000 felquistes prêts à faire la révolution. La folie furieuse! Et cet autre, un animateur et ancien député conservateur fédéral, Yvon Dupuis, lequel suggérait d’arrêter tous les étudiants, les syndicalistes, toute cette gang de pouilleux, de les aligner au mur et de…

En ce temps-là, au travail, personne ne parlait de politique. C’était comme pas la place! Alors, le soir, je rentrais à la maison et je parlais avec mes parents qui eux, avaient tout aussi peur que nous mais pour d’autres raisons. Un soir, j’ai dit à mon père d’arrêter de se faire des peurs: « Arrêtez de vous faire des idées, le FLQ ne viendra pas chercher votre maison, votre auto, votre chalet. Le FLQ s’attaque aux gros poissons. D’ailleurs, elle est où l’armée???? Est-ce qu’il y a un soldat devant chez nous? Non. Ils sont à Westmount, à Hampstead, à Outremont, partout où il y a de gros politiciens et hommes d’affaires riches. Ce sont eux qu’ils protègent. Le FLQ ne s’attaque pas à nous! »
Je vous épargne les discussions animées et parfois tonitruantes que nous avons eues au fil du temps. Et puis, moi, qui plus tard, ai lu Pierre Vallières, notamment son livre sur la mort de Pierre Laporte et aussi « Un Québec impossible », qui ai compris qu’on nous avait monté un « beau gros bateau ». L’ampleur de l’énergie déployée pour nous terroriser, pour nous faire rentrer dans le rang, pour tuer non seulement le FLQ mais démoniser le Parti québécois, les syndicats et tous les organismes qui défendaient les locataires, les pauvres, les mères monoparentales etc… Nous faire renter dans notre trou. Nous faire taire et nous raconter des sornettes pour que nous ayions si peur que nous ne pensions plus à partir de ce plus beau grand pays du monde … Et nos proches qui tout à coup avait oublié leur assentiment lors de la lecture du Manifeste du FLQ…
Tantôt, j’ai pleuré. Comme si 50 ans plus tard, je me donnais le droit. Comme si j’avais dépassé la colère et la soumission et que je me donnais enfin le droit de ressentir cette douleur, cette terreur que j’ai vécue.

Je me souviens qu’en 1985, alors que je jurais ne plus jamais m’occuper de politique, tellement j’étais déçue du résultat du Référendum de 1980… J’ai eu la chienne de ma vie quand j’ai « appliqué » pour un emploi temporaire au gouvernement fédéral..
Je me souvenais trop qu’en 1982, la GRC avait volé la liste des membres du PQ dans leur bureau et qu’en ce temps-là, j’avais ma carte de membre donc j’étais sur la fameuse liste … je me disais que jamais je n’arriverais à y travailler. Mais comme il n’y avait que ça contre moi, que je n’ai jamais fait partie du FLQ, ils m’ont engagée. J’y ai travaillé 30 ans.
Tout le monde à Montréal, probablement à Québec aussi, mes confrères et consoeurs de travail connaissaient mes allégeances politiques mais jamais celles-ci n’ont interféré dans mon travail auprès des vétérans et militaires. Et j’étais acceptée, respectée. D’ailleurs dans ces années-là, je n’étais pas seule à être indépendantiste chez les employés du fédéral.
Jusqu’en 1985, je m’étais juré de ne jamais travailler pour « l’Ennemi ». Mais plus tard, en ayant marre de me faire mépriser et travailler comme une folle dans une compagnie américaine où j’étais moins payée que ma consoeur qui était unilingue anglaise alors que j’étais bilingue (la petite québécoise de service)!, j’ai décidé de poser ma candidature au fédéral… et j’ai été engagée.
J’ai jamais été une aussi bonne « canadienne » que durant ces 30 ans-là!

Mais tantôt quand je pleurais… je me suis souvenue de cette époque étouffante, éprouvante, cette période où je faisais ma brave mais où j’étais oppressée, où ce poids invisible pesait sur mes épaules. Ces années qui ont suivi où j’ai dû plus souvent qu’à mon tour défendre mes idées, mes convictions face à des personnes de mon entourage qui méprisaient non seulement ce pourquoi je militais mais qui se méprisaient eux-mêmes par la même occasion. Ma belle-soeur, qui un soir de Réveillon m’avait insultée… j’avais mis mon manteau et mes bottes et j’avais dit à mon chum que je l’attendrais dans l’auto… qu’il devrait me reconduire à la maison…
Alors, quand je pleurais, parce que j’avais tout à coup touché à un pan de ma vie enfoui depuis longtemps, j’ai pensé à ceux qui avaient été perquisitionnés, arrêtés, détenus durant de longs jours, de longues semaines et j’ai ressenti tout à coup la peur de cette mère de famille arrachée à ses enfants en pleine nuit, elle qui n’avait eu que le temps de crier aux voisins d’appeler sa soeur ou sa mère pour prendre soin des petits. Ce père de famille qui détenu, interrogé, terrorisé sans avoir le droit à un avocat durant des jours qui devait se demander quand il pourrait sortir et reprendre une vie normale.
A Michel Chartrand, qui avait fanfaronné mais courageusement lorsqu’il avait dit au policier qui lui braquait un « gun » dans la face: « Arrête de trembler, tu vas me manquer! »

Et j’ai surtout pleuré parce que je réalise que Trudeau et cie ont inventé une crise pour réduire mon peuple au silence et que son fils actuellement est à nous achever en nous réduisant à l’état de sous-groupe minoritaire alors que nous sommes le peuple fondateur.
Et que ça a fonctionné. Nous sommes mêmes honnis par les nouveaux arrivants, les minorités… même les amérindiens!
N.B.: Je n’ai pas encore vu le film « Les Rose » ni revu « Les ordres » ni « Bingo » ou autre documentaires du même genre. Je me donne le temps de digérer ma peine rétroactive et je vais voir le reste des émissions, films etc, plus tard.
Si vous en voulez du complot… en voilà un solide!
